Recherche expérimentale

Nous avons réalisé des essais de fabrication de tissus inkin, en nous basant sur les recherches et les observations exposées dans les articles  Les composantes de l’adhésif : sources  et  Observations d’un corpus d’inkin , avec deux objectifs. Le premier est de nous remettre autant que possible dans les conditions réelles afin de comprendre quels pouvaient être les matériaux et les procédés qui ont permis la fabrication des tissus inkin. Le second est de développer des recettes et des méthodes permettant aujourd’hui de fabriquer à nouveau des tissus inkin, pour le montage des œuvres peintes ou pour tout autre domaine des arts décoratifs.

Méthode

Exemple de planche de tests

Une liste de matériaux a été dressée en déduisant de nos observations et des résultats des analyses faites par Suzuki, ainsi que de la littérature, ceux qui pouvaient être disponibles en Chine et au Japon avant l’apparition des matériaux synthétiques. Les matériaux ont ensuite été employés seuls ou en combinaisons plus ou moins complexes, afin d‘en comprendre les propriétés et les conditions d’utilisation. Au cours des essais, les quantités introduites de chaque matériau ont été mesurées avec précision, afin de pouvoir conserver des recettes. Chaque adhésif préparé a été imprimé sur tissu de soie à travers des pochoirs en papier de notre confection, à motifs de tsukurido repris d’inkin anciens, et une feuille d’or pur, toujours de même couleur (n°4) et épaisseur. Une fois les matériaux sélectionnés, les proportions ont été ajustées.

Pour chaque essai nous avons estimé et comparé les propriétés suivantes : adhérence de la feuille, adhérence sur le tissu, souplesse/dureté du film, tendance à craqueler, épaisseur du film, précision du contour, brillance de la feuille, couleur de la feuille, résistance à l’eau.

Les échantillons obtenus ont été comparés visuellement avec des fragments d’inkin ancien, afin de sélectionner des recettes qui donnaient un résultat proche. Les recettes retenues sont publiées sur la page Fabrication de ce blog. Cet article présente nos conclusions quant aux matériaux testés.

 

Choix des tissus de support

Le choix du tissu de support pour les tests a représenté un vrai problème. Le tissu a en effet une influence majeure sur l’effet final. Nous ne pouvions cependant pas travailler sur des tissus semblables aux originaux. Les ra modernes sont rares, extrêmement coûteuses, et ne ressemblent pas aux ra anciennes. Les gazes sha actuelles ont en général des fils assez fins et des jours plus ouverts que les gazes anciennes. Les gazes plus denses que nous avons trouvées sont des tissages main de grande qualité, que nous ne pouvions pas utiliser pour des tests. La plupart des essais ont donc été réalisés sur de la soie à peindre et sur de la gaze de soie ro pour kimono. La soie à peindre est une soie grège, armure taffetas, dont les fils de chaine sont rassemblés par faisceaux de manière à gagner en stabilité et à être assez transparente. Dans une certaine mesure elle ressemble à de la gaze, mais sa surface est très lisse.

 

Envers d’un échantillon imprimé sur gaze. L’adhésif emprisonne le fil, renforçant l’adhésion sur le tissu. Serait-ce pour cela que les inkin anciens étaient faits sur gazes?

Les adhésifs

Les adhésifs sont la base de la colle : ils ont pour but de faire adhérer la feuille sur le tissu.

Les colles animales

Les colles animales sont en grande partie composées de collagène ; elles sont issues des peaux, des cartilages ou des os des animaux. Les méthodes d’extraction varient et peuvent nécessiter un milieu acide (colle d’os) ou basique (colles de peau). On a pu utiliser des animaux très différents selon les régions et les époques ; en Europe, le lapin et l’esturgeon sont fréquemment employés. Au Japon, les colles anciennes ont pu être de bœuf, de porc, de cheval, de daim, de poisson… Par ailleurs la qualité des matériaux de base et la méthode d’extraction ont également une influence décisive sur leurs propriétés. Les colles modernes sont très purifiées et s’assimilent presque à de la gélatine ; les colles anciennes par comparaison devaient comporter des impuretés liées à leur méthode de fabrication, à la qualité de l’eau, qui elles-mêmes peuvent avoir une influence sur les propriétés du produit, par exemple sur sa force d’adhésion.

Les expériences que nous avons menées avec des colles modernes achetées dans le commerce ne peuvent donc pas être réellement comparées aux objets anciens ; elles donnent seulement des indications.

La seule colle animale encore produite au Japon est la colle de vache. La plus fréquemment employée par les peintres est la Sanzenbon, une colle de bœuf dite sans additifs vendue sous forme de bâtons. La shika nikawa, « colle de daim », aujourd’hui vendue sous forme de cubes, est en réalité une colle de bœuf avec divers additifs dont la nature n’est pas précisée. On trouve chez les marchands spécialisés en fournitures pour la peinture japonaise des colles de bœuf en cristaux, sans additif et plus ou moins fortes. Nous avons travaillé de préférence avec des colles de bœuf sans additif en cristaux.

La colle animale est mise à gonfler dans l’eau plusieurs heures avant emploi, à une concentration que nous avons fait varier entre 4 et 14%. Selon la colle employée, la force d’adhésion, la température de gélification et la souplesse après séchage varient pour une même concentration. La colle gonflée est mise à chauffer au bain marie à environ 30°C avec agitation. Au-delà de 35°C, elle se dénature et perd en pouvoir de gélification et d‘adhésion. La colle refroidie passe à l’état de gel. Réchauffée, elle se liquéfie à nouveau.

Le moment de l’application à travers le pochoir est délicat. Liquide, la colle fuse dans le tissu. A l’état de gel, elle forme des picots. A température de transition liquide-gel, elle s’étale correctement, et se rigidifie une fois sur le tissu, mais ce moment est court. Imprimer avec une colle animale nécessite donc de travailler à une température inférieure à la température de liquéfaction de la colle. Plus l’on souhaite travailler avec une colle légère et souple, plus la température de la pièce doit être fraiche (inférieure à 19°C pour une colle à 6%).

Une fois sèche, la colle forme un film fin et brillant, incolore ou couleur peau (elle brunit cependant avec le vieillissement), et qui peut être très souple si la colle est légère, assez raide si elle est concentrée. La tension de surface de l’adhésif est forte, ce qui donne à la feuille d’or un aspect très brillant.

Elle permet d’imprimer des motifs très fins, très précis, et ne crée pas de déformations au séchage. Employée seule, la colle animale de forme pas de craquelures. Après plusieurs mois de séchage, elle présente une certaine résistance à l’eau, plus importante que la colle d’amidon, mais qui n’est jamais totale.

La colle animale (sans additif) mise en solution est très sensible aux moisissures. Par temps froid elle peut tenir sans moisir jusqu’à 4-5 jours, mais les artistes en préparent généralement de la neuve chaque jour.

 

Colle de bœuf en cristaux. Echantillon imprimé à partir de colle de bœuf diluée dans de la colle de konjac, teintée à la terre ferreuse.

Les colles d’amidon

L’amidon est un sucre contenu dans de nombreuses plantes. Les colles d’amidon les plus employées au Japon sont les colles de blé et de riz. D’un point de vue général, la colle de blé est plus souple que la colle de riz, et c’est pour cela qu’on l’utilise en restauration. Cependant les colles de riz ont été traditionnellement très employées dans les arts comme dans la vie quotidienne, puisque le riz constitue en Asie une ressource immédiatement disponible. Le riz comporte une part plus ou moins importante de gluten, selon qu’il s’agisse de riz classique (uruchi-mai) ou de riz glutineux (mochi-gome). Le gluten augmente le pouvoir d’adhésion de la colle, mais il est aussi responsable de sa raideur et de son jaunissement. 

Nous avons travaillé avec plusieurs colles de riz.

 

Préparation de la colle de riz classique. Colle de riz glutineux fraiche. Colle de riz glutineux fermentée.

 Riz classique 

Le riz est cuit et écrasé à travers un tamis pendant une heure ; on additionne un peu d’eau lorsque la pâte est trop rigide. Il est également possible de faire cuire directement de la poudre de riz. La cuisson se fait alors à la casserole à 90°C sans s’arrêter de mélanger avec une cuillère en bois. La colle est prête lorsqu’un bruit de crépitement se fait entendre (éclatement des grains d’amidon).  

La colle de riz peut être employée assez pâteuse pour être imprimée, et peut être montée en épaisseur, mais elle est alors raide et cassante au séchage. Légère, elle a tendance à s’étaler. Elle possède un fort pouvoir adhésif. Elle donne à la feuille d’or une brillance mate et blanchâtre.

La colle de riz une fois sèche est raide, forme des craquelures, et sa surface est veloutée. Elle présente une assez mauvaise résistance à l’eau.

Riz glutineux 

La colle de riz glutineux peut être préparée de la même manière que la colle de riz. Après cuisson, elle forme une pâte très rigide qui doit être passée plusieurs fois à travers un tamis ou une toile fine, et est difficile à travailler. Diluée, elle s’étale, crée des dégorgements, et ne permet pas d’imprimer des motifs précis.

Au séchage, elle forme des déformations en cuvette, et elle est assez raide.

Elle présente un fort pouvoir adhésif et donne à la feuille d’or un aspect mat et blanchâtre. Elle est sensible à l’eau.

Colle de riz glutineux fermentée

La pratique de laisser reposer la colle de riz pour la détendre était courante dans l’art du surihaku. Par ailleurs, dans une recette ancienne d’inkin japonais, qui nous a été transmise par M. Handa, il est fait mention d’une colle de riz mélangée à de la colle animale, que l’on fait fermenter en mélange durant une semaine, afin de faire lever la colle (plus de détails). Nous nous sommes rendu compte qu’à une température d’environ 12 à 15°C, la colle de riz glutineux pure pouvait fermenter de manière spontanée. Au bout de 3 à 4 semaines de repos dans un récipient étanche, la colle lève, devient légère, et dégage une odeur alcoolique. Cette colle peut ensuite se conserver des mois durant, sans pourrir.

Pour l’impression, la colle fermentée présente plusieurs avantages. Elle est légère et ferme à la fois, et s’étale donc sans difficulté ni dégorgement. Il est possible de la monter en épaisseur, qui subsiste en bonne partie après séchage. Sa surface une fois sèche est rugueuse, ce qui éteint fortement l’éclat de la feuille d’or.

La colle fermentée a une très forte tendance à craqueler. Sa force d’adhésion est mauvaise, ainsi que sa résistance à l’eau.

 

Riz fermenté pur. Adhésif à base de riz fermenté en cours d’impression. Adhésif à base de colle animale et de riz fermenté (1:1).

Kanbaiko

Le kanbaiko est une farine de riz glutineux employée en pâtisserie japonaise. Il est préparé à partir de gâteaux de riz glutineux (les mochis), préparés selon un procédé de cuisson et de battage, que l’on a ensuite fait griller, et réduit en poudre.

Le kanbaiko est fréquemment employé comme adhésif dans l’artisanat japonais, notamment dans l’art des poupées kimekomi, ou du kintsugi (la réparation des céramiques à la laque et à l’or). Nous pensons qu’il n’a pas été employé en Chine, puisque les mochis sont une spécificité japonaise, mais nous pouvons envisager qu’il ait été employé sur des inkin d’origine japonaise.

Le kanbaiko se prépare en le diluant dans l’eau, en proportion d‘environ 1 : 2 pour une colle épaisse. Il n’est pas nécessaire de le faire cuire. A moins de le préparer avec le moins d’agitation possible et dans de l’eau très froide, il a une très forte tendance à former des fils, ce qui le rend difficile d’usage.

Lorsqu’il est peu dilué, le kanbaiko est facile à imprimer. Il forme des motifs précis et en relief. Dès qu’il est trop dilué, il s’étale, ce qui nuit à la précision du motif. Sa force d’adhésion est très importante, et il tient bien à la fois au textile et à la feuille d’or.

Une fois sec, il est dur, mais relativement élastique, et de ce fait, a peu tendance à craqueler. Il présente généralement une déformation en cuvette. Sa surface est très lisse, mais il donne à la feuille d’or une brillance un peu mate, plus brillante cependant que la colle de riz classique, ainsi qu’une teinte blanchâtre.

 

Kanbaiko pur. Colle animale, kanbaiko. Colle animale, kanbaiko, pigment de terre ferreuse.

 Les charges

Les charges ont pour fonction de donner de l’épaisseur au film, et de constituer une sous-couche pour la feuille d’or. Cette sous-couche isole la feuille d’or du relief du tissage, et peut conférer à la feuille plus ou moins de brillance selon son grain.

 

 La gofun 

La gofun est un pigment blanc très fréquemment employé dans les arts décoratifs et la peinture japonais. Il s’agit de coquille de coquillage réduite en poudre ; chimiquement, c’est un carbonate de calcium. Son grain est plus ou moins fin selon le degré de broyage. La gofun se prépare dans la colle animale, selon un protocole assez long visant à favoriser son affinité avec la colle et l’eau. Le pigment est broyé, puis on  ajoute une petite quantité de colle animale légère. On forme une boule, que l’on jette ensuite longuement de manière répétée sur la surface d’une soucoupe, de manière à en faire sortir l’air.

Elle est peu couvrante, à moins d’être passée en couches successives. Elle forme un film lisse, fin, uniforme et souple. Elle conserve à la feuille d’or une brillance assez forte, quoi que légèrement atténuée.

 

Le kaolin 

Le kaolin est une argile blanche. C’est un silicate d’aluminium, sa formule chimique est (Al2Si2O5(OH4)) ; il contient de l’aluminium et de la silice, deux éléments mis en évidence dans l’adhésif des tissus inkin analysés par Suzuki. Les principales sources de kaolin se trouvent en Chine, où il est utilisé depuis l’Antiquité, entre autre pour la céramique. En Europe, il est parfois utilisé comme sous-couche pour la dorure sur bois dit « bol blanc ».

Introduit dans la colle animale, il lui donne de l’épaisseur et de l’onctuosité. Une fois sec, il forme un film épais, dur et cassant, qui forme des craquelures. En proportion supérieure à 15%, le film est très raide, en proportion inférieure à 6%, il reste souple. Le film de colle chargée au kaolin est plus épais et plus couvrant que le celui de l’adhésif chargé en gofun. Sa surface est aussi plus granuleuse, ce qui donne un aspect mat à la feuille d’or.

Lors de la préparation de l’adhésif, il est nécessaire de broyer le kaolin longuement dans la colle liquide, et de finir de le lisser au doigt.

 

Le tonoko

Tonoko

Le tonoko est une terre brune, dont la nature et la teinte varient selon la région d’extraction, et qui est utilisée comme charge pour le comblement de lacunes dans la technique de restauration de céramiques dite kintsugi. Ses grains sont très fins, cependant moins que le kaolin, mais, contrairement à ce dernier, ils n’absorbent pas l’eau, et ne donnent pas à la colle la même onctuosité que l’argile.

Le fil d’adhésif chargé en tonoko est assez épais et son grain est plus grossier qu’avec le kaolin. Sa couleur fait chatoyer naturellement l’or. Le film sec est aussi dur qu’avec le kaolin.

En mélange avec le kaolin, le tonoko permet d’obtenir une charge à l’aspect naturel, moins pure et moins blanche qu’avec un kaolin du commerce, très purifié. Dans l’éventualité où les inkin anciens auraient employé une terre kaolinique peu raffinée comme charge, le tonoko permettrait de reconstituer ce type de matériau.

 

Adhésifs chargés de gauche à droite, à la gofun teintée, au kaolin pur, avec un mélange kaolin/tonoko, au tonoko pur.

 

Toso/encens

Nous avons réalisé des essais en chargeant notre adhésif avec des poudres de bois fines. Le toso est une poudre de paulownia, employée au Japon dans l’art des poupées kimekomi, où il est mélangé à de la colle avant d’être moulé. L’encens en bâton, une fois broyé, constitue une poudre de bois encore plus fine que le toso.

Les essais menés avec les deux matériaux ont donné des films très épais et durs, même à des concentrations de 1,5%. La surface des grains, difficiles à broyer plus finement, donne un film très rugueux, qui nuit à la précision du motif. Le rendu sur la feuille d’or est très mat.

 

Adhésif chargé au toso. Adhésif chargé à l’encens.

 

Les additifs

Les additifs ont plusieurs fonctions, telles que faire chatoyer l’or en teintant l’adhésif, modifier ses propriétés filmogènes, renforcer sa résistance à l’eau, ou encore favoriser sa conservation par une action antibactérienne ou insecticide.

Pigments

Charges minérales à base de kaolin pur et teinté, pigment de terre ferreuse, vermillon rose, vermillon jaune. Charges minérales à base de kaolin/tonoko, teintées au vermillon rose, jaune.

Les pigments permettent de donner une teinte plus ou moins douce ou chatoyante à l’or. En outre lorsque la feuille d’or est usée, ils donnent une teinte agréable, visible dans les lacunes.

L’adhésif des inkin anciens a souvent une teinte rouge clair à rouge orangé, identifiable parfois à une teinte de colle animale, parfois au rouge vermillon.

Le cinabre est un sulfure de mercure, présent, bien que rare, dans la nature, et qui est employé comme pigment rouge. Il est synthétisé pour produire le vermillon. Le vermillon a été employé anciennement dans les arts asiatiques comme européens. Outre sa couleur, il possède également des vertus antibactériennes du fait de sa nature chimique. En admettant que ce soit bien du vermillon que l’on observe sur certains inkin ancien, celui-ci aurait pu avoir comme effet associé de prolonger la conservation de la colle fraiche lors du long procédé d’impression.

Il s’agit cependant d’un pigment toxique et nocif pour l’environnement. Sa vente est aujourd’hui interdite, et il a été remplacé par des pigments qui, bien que vendus sous la dénomination de vermillon véritable, sont chimiquement différents.

Le vermillon existe en deux teintes, un rouge orangé, et un rouge rose. Le rouge orangé donne une teinte riche et éclatante à l’or, alors que le rose lui donne une teinte douce et chatoyante.

Le pigment de terre ferreuse donne une teinte riche, orangée et moins lumineuse à la feuille d’or.  Sur le long terme, le fer altère les fibres. Il est donc peu probable qu’il ait été employé sur les inkin anciens, dont le tissu est bien conservé.

 

Echantillons de même formulation, respectivement non teinté, teinté au pigment de terre ferreuse, au vermillon jaune, au vermillon rose.

La colle de konjac

La colle de konjac est un adhésif cellulosique préparé à base d’un tubercule cultivé en Asie, aussi bien en Chine qu’au Japon. L’adhésif obtenu peut être liquide comme très ferme, et transparent. A environ 1,3%, il forme une pâte épaisse et facile à étaler et permet d’imprimer des motifs précis. Le film sec est incolore, très fin, brillant et résiste à l’eau. Son pouvoir adhésif est faible et nous l’avons employé essentiellement comme médium pour l’impression, afin de donner de la viscosité à la colle animale.

Cependant, du fait de sa forte teneur en eau, en mélange avec la colle animale, il se fond avec elle et perd son effet visqueux au profit du gel formé par la colle animale froide. Nous avons obtenu des résultats beaucoup plus satisfaisants en mélange avec la laque (nous publierons ces résultats dans un prochain article).

 

L’alun

L’alun est un sel d’aluminium présent dans la nature. Dans les arts, il est employé pour le tannage du cuir, le mordançage des tissus… En peinture japonaise, il est introduit dans la colle animale pour constituer l’apprêt du support soie, dans le but d’empêcher la peinture de fuser.

Nous avons songé à l’employer pour deux raisons, les fortes quantités d’aluminium dans les adhésifs analysés par Suzuki (cependant à envisager avec prudence, cf. art. Les composantes de l’adhésif : sources), ainsi que parce que selon la littérature (1), l’alun confère la colle animale un bonne résistance à l’eau.

Pendant nos essais, nous avons introduit entre 5 et 20% d’alun dans la colle animale. A partir de 10%, les solutions deviennent visqueuses, élastiques, et difficiles à étaler. Le film devient dur et des cristaux se forment à la surface. Nos essais à faible concentration d’alun ne sont pas achevés.

 

Huiles siccatives

Les huiles siccatives sont des huiles qui polymérisent par oxydation au contact de l’air, et forment avec le temps un film sec et dur, très résistant à l’eau. En Europe, elles sont utilisées dans la dorure à l’huile, dont les caractéristiques sont sa tenue à l’eau et sa matité.

Au cours de nos essais nous avons testé deux huiles. L’huile de lin, présente en Europe et en Asie, et présente le meilleur degré de siccativation de toutes les huiles. L’huile de tung, originaire d’extrême-orient et employée au Japon comme vernis pour le bois.

En mélange dans la colle animale, l’huile forme une émulsion facile à étaler pour l’impression. Dès 1,5%, elle a pour effet d’assouplir légèrement le film de colle, d’atténuer la brillance de la feuille d’or, de renforcer le pouvoir colorant du pigment et de renforcer fortement la tenue à l’eau de l’adhésif. En quantité importante (25%), l’huile fuse dans le textile et le tache.

L’huile de lin s’assombrit rapidement avec le temps et noircit sur le long terme. Elle pourrait être à l’origine du noircissement observé sur certains échantillons d’inkin tardifs.  Par ailleurs, sur nos essais, les motifs imprimés avec l’huile de lin présentaient parfois un cerne coloré, soit une mince zone où la feuille n’avait pas adhéré (problème de d’affinité ?).

L’huile de tung donne un effet un peu plus mat que l’huile de lin, et ne produit pas le cerne observé sur les essais à l’huile de lin. Elle s’assombrit moins avec le temps.

 

Colle animale et huile de lin après cinq mois de séchage : la colle a jauni. Colle animale, huile de tung. Colle animale, huile de lin, charge minérale teintée. Même formulation avec l’huile de tung à la place du lin.

 

Ail 

L’ail est un tensio-actif naturel. En Europe, il est anciennement employé dans la dorure pour favoriser l’adhésion de la feuille, ainsi que dans la peinture sur métal. C’est aussi un antifongique, qui pourrait avoir pour effet de favoriser la conservation de la colle.

Nous n’avons pas trouvé de trace de son emploi au Japon (où il est peu présent en règle général), et n’avons pas poussé les recherches quant à son utilisation dans les arts en Chine.

Lors de nos essais, nous l’avons introduit dans la colle animale, laissé macérer une nuit puis filtré, et avons constaté un meilleure adhésion de la feuille d’or sur les échantillons qui employaient de l’ail.

 

Antifongiques

La colle animale, une fois mise en solution, pourrit et perd très vite son pouvoir adhésif. Par temps très froid, elle peut tenir 4 à 5 jours sans moisir, mais les artisans la préparent généralement chaque jour. Lors de l’impression d’un inkin, plusieurs jours sont nécessaires ; or refaire la colle, c’est prendre le risque de créer des malunis dans le résultat final. Est-il envisageable que les artisans aient employé un antibactérien afin de prolonger la durée d’utilisation de leur colle ?

Colle animale sans additif vieillie, qui ne gélifie plus. Même colle additionnée d’huile essentielle de gingembre, vieillie et à l’état de gel.

Nous avons testé l’efficacité de deux antibactériens naturels, introduits dans une colle de bœuf sans additif laissée trois semaines à température ambiante, l’essence de cèdre et l’essence de gingembre, et les avons comparés à un témoin.

L’essence de cèdre a un effet retardateur sur l’apparition de moisissures mais dénature la colle, qui se liquéfie. L’essence de gingembre a prévenu l’apparition des moisissures durant 20 jours, sans dégrader la colle. Nous n’avons cependant pas testé la force d’adhésion des colles ainsi traitées.

Des tests avec l’ail restent à faire.

 

 

 

 

Conclusion des essais de fabrication 

En comparant les résultats obtenus avec des échantillons d’inkin anciens, nous avons dégagé des combinaisons d’adhésifs qui nous ont semblé donner des résultats proches des originaux.

Pour les échantillons envisagés comme étant des inkin anciens, classés dans les groupe 1 A et B, nous avons relevé des recettes d’adhésif à base d’une proportion prédominante de colle animale additionnée de colle de riz gluant ou de riz fermenté en petite proportion, et de charge minérale (gofun+ vermillon, kaolin+tonoko, kaolin + vermillon). Plus on ajoute de colle de riz, plus on obtient une couche adhésive épaisse. Des essais, proches des échantillons classés dans le groupe 2, ont été réalisés à partir de colle animale à plus de 90%, additionné d’un peu d’huile siccative.

L’ajout d’huile de tung, en faible proportion, donne une brillance atténuée, qui rapproche les échantillons des pièces usées, mais à l’origine, nous pensons que celles-ci étaient bien plus brillantes.

Pour les échantillons envisagés comme des inkin récents, les combinaisons sont variées.

Proches des échantillons classés dans le groupe 1C, épais et mat, nous avons réalisé des échantillons à base de colle animale en proportion de 50 à 60%, additionnée d’une forte proportion de colle de riz, en particulier fermentée, de pigment, et éventuellement de kaolin et d’huile siccative.

Certains échantillons originaux présentaient un cerne rouge, qui teintait les fibres textiles, pourtant sans trace de dépôt, en bordure des motifs dorés. Ce phénomène s’est produit lorsque nous avons employé une colle de riz de type kanbaiko, non fermentée, et assez aqueuse : l’humidité de la colle a migré autour du motif en emportant du pigment, créant ainsi un cerne coloré dans les fibres.

Proches des échantillons classés dans le groupe 6, nous avons réalisé des essais à base de colle animale et d’huile siccative.

Les essais à partir de paillettes de métal restent à faire. Dans tous les essais, l’ajout d’ail renforce le pouvoir adhésif de la feuille, et l’ajout d’huile essentielle de gingembre a permis de travailler plusieurs jours de suite avec la même colle.

Voir les recettes d’adhésif

(1) F. Perego, Dictionnaire des matériaux du peintre, Belin, 2005.

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