Au Japon, le surihaku

Le surihaku est la technique japonaise qui consiste à imprimer des textiles avec une feuille d’or ou d’argent, en l’appliquant sur des motifs imprimés à la colle à travers un pochoir. La définition telle quelle est donc similaire à celle du inkin. Cependant, du fait de différences dans la technique et dans l’usage, les objets sont très différents.

Le surihaku est parent du nuihaku, où l’application de la feuille est combinée à la broderie, et du kirihaku, une technique qui consiste à découper préalablement les feuilles selon la forme du motif et à les appliquer sur l’adhésif frais, posé simultanément avec un pinceau.

Ces techniques sont propres au domaine du l’habillement et se retrouvent au cours de l’histoire sur les kimonos les plus luxueux. On retrouve souvent dans la bibliographie l’idée, émise avec plus ou moins de réserve, que le surihaku serait un dérivé du inkin chinois. Un regard attentif sur l’histoire des techniques invite cependant à considérer cette théorie avec prudence.

L’origine des techniques d’application de feuille d’or sur textile au Japon n’est pas précisément datée. A l’époque de Nara (710-794), la fabrication des feuilles d’or et les techniques de placage et de dorure, notamment celle du kirihaku, sont pratiquées sur les statues bouddhiques. Aucun témoin contemporain de la technique transposée au textile n’a cependant été retrouvé. A l’époque Heian, deux recueils de loi témoignent de son existence, un texte de 894, ainsi que le Engishiki, daté de 927. La littérature contemporaine fait par ailleurs de nombreuses descriptions de pièces d’habillement, hakama, karaginu etc, ornés de motifs à la feuille d’or, et ce donc bien avant l’arrivée des premiers tissus inkin chinois sur l’archipel japonais.

Cette tradition s’est ensuite poursuivie parmi la classe militaire sous les ères Kamakura et de Muromachi ; au 15e siècle, la pose d’or et d’argent sur les vêtements constituait une industrie florissante. C’est durant l’époque Muromachi que l’on parle du développement du nuihaku et du surihaku.  Durant l’époque Momoyama, (1573-1603), le nuihaku connait une vogue particulière avec le tsujigahana, où il est combiné à la teinture à réserves ligaturées et à l’encre.

Un dôfuku en surihaku daté de l’ère Momoyama est visible en ligne sur la base ekokuhou.

Puis durant Edo, l’usage du surihaku et du nuihaku se retrouve sur les kosode de l’ère Keicho, avant de connaître un essor particulier du fait de lois somptuaires. En 1651, puis à partir de 1682, le gouvernement des Tokugawa tente de mettre un frein au luxe de l’industrie textile en promulguant une série de lois règlementant le tissage de l’or. L’impression directe des feuilles sur le textile permet alors de contourner les lois par des techniques moins chronophages, mais dont le résultat est tout aussi resplendissant. De ce contexte naissent les kosode Kanbun, où le surihaku occupe une place prépondérante.

Le surihaku et le nuihaku sont également très présents dans les costumes de théâtre nô, encore aujourd’hui. Les costumes dits Surihaku sont portés par les rôles féminins, sous la veste constituée du Nuihaku ou du Karaori. Durant la seconde moitié du 17e siècle, le surihaku n’était plus réservé au monde des militaires mais était aussi répandu dans la sphère bourgeoise. Il semblerait qu’il ait ensuite décliné et ait un moment disparu du marché.

Selon Araki (in Senshoku to seikatsu), ce que l’on voit de nos jours sous le nom de surihaku ou de inkin dans le domaine du kimono est en réalité une technique née d’un revival des années 1900, différente des pratiques en vogue jusqu’à l’époque Edo. Les raisons de cette disparition seraient à chercher dans les règlementations somptuaires ou dans l’évolution des goûts.

 

Techniques du surihaku  

Les œuvres en surihaku et kirihaku présentent comme caractéristiques d’être très planes, avec une couche adhésive fine, sans relief et très souple. Souvent sur les objets anciens, la feuille métallique est fortement usée et laisse apparaitre l’adhésif sur de vastes lacunes. Celui-ci est relativement incolore, blanchâtre à vaguement jaune. Il présente parfois des déformations en cuvette. En outre, les objets sont la proie privilégiée des cafards, amateurs d’amidon.

Il est toujours difficile d’écrire au sujet de techniques anciennes, dans la mesure où au sein d ‘une même profession, les pratiques varient d’un atelier à l’autre et ne sont souvent transmises que par voie orale. La technique décrite par Mistumasa Wada, artisan apprenti en surihaku dans les années 1965-70, consistait à mélanger de la colle d’amidon avec de la funori, une colle d’algue. La colle d’amidon pouvait être une colle de riz, de riz glutineux, ou de blé. Au Japon le riz est fréquemment utilisé, probablement car il est particulièrement facile de s’en procurer, ainsi qu’en raison de son fort pouvoir collant. Parce que la colle telle quelle est trop raide, les artisans la faisaient reposer au frais (sous le plancher) jusqu’à ce qu’elle s’assouplisse. On la diluait ensuite dans de la colle d’algue, préférée à l’eau pour sa viscosité (qui permet de limiter la diffusion latérale de l’adhésif dans le textile) et son pouvoir collant. Pour faire adhérer une feuille d’or bien fine, la funori pouvait suffire.

Le tissu était fixé tendu au plan de travail selon la technique du ji-ire : la table est encollée à la brosse par une colle d’amidon légère que l’on laisse sécher. L’adhésif est ensuite réactivé par vaporisation et le tissu fixé dessus. Cette méthode permet de maintenir le tissu à plat et de le prévenir des variations dimensionnelles au moment de l’application de la colle humide. Les dépôts de colle laissés sur le revers du tissu sont négligeables et il n’est pas nécessaire de laver le tissu.

La colle est posée à la spatule à travers les pochoirs de papier (le kakishibugami, un papier enduit au jus de kaki, solide et résistant à l’eau) et, une fois le pochoir retiré, la feuille d’or ou d’argent est posée dans le frais. Le séchage achevé, on brosse l’excédent de feuille qui se détache des zones non encollées. 

Afin d’assouplir les objets une fois imprimés, le tissu était étiré à la main dans le sens des deux biais, de manière à briser le film de colle.

Dans le kirihaku employé sur bois, dans le domaine de la statuaire bouddhique, c’est la colle animale qui est employée en mélange avec la colle d’algue, cette dernière n’ayant qu’un rôle d’adjuvant du fait de sa viscosité. Dans le domaine du kimono cependant, la colle animale n’est, selon M. Wada, employée que sur les objets de mauvaise qualité ou sur les costume de kabuki, en raison de son manque de souplesse. La colle de riz, bien que rigide à la base, peut être assouplie si elle est employée comme décrit ci-dessus. Enfin, elle ne brunit pas avec le temps.

Certains écrits renseignent sur les techniques anciennes. Le Manbunsho hiden, publié en 1651 (cité dans Kitamura), donne une méthode de fabrication de la colle : avec un tissu léger, on filtre la funori que l’on a extraite à haute température et on la laisse reposer une nuit, jusqu’à disparition de l’écume. On y ajoute ensuite de la colle de riz. L’auteur cite également des textes d’origine inconnue, où l’on fait mention de blanc d’œuf à la place de la colle d’algue, ou encore d’un mélange de colle de kuzu (pueraria labota), de colle d’algue,et de colle animale additionnée d’alun.

Selon Kitamura, les objets datant de Momoyama jusqu’au milieu d’Edo seraient plus solides que les objets modernes. Il serait donc à penser qu’il existait des secrets d’atelier, résidant soit dans les ingrédients des adhésifs, soit dans les mises en œuvre ou tout simplement dans la qualité des matériaux sélectionnés.

 

Les techniques contemporaines et le kinsai

On entend aujourd’hui parfois le terme de kinsai, ou encore de kinsai yuzen. Le terme a été créé par Mitsumasa Wada dans les années 1970, afin de désigner une forme moderne d’impression de feuille métallique sur textile, issue du surihaku. L’adhésif employé est un mélange d’adhésifs synthétiques mis au point afin de résister à l’usure, au lavage et aux insectes. L’adhésif est passé à travers soit des pochoirs de type traditionnel, en papier synthétique, soit des écrans de sérigraphie dont le motif est réalisé grâce à un vernis photosensible. Les feuilles, entières ou réduites en poudre, peuvent être d’or ou d’argent, mais également d’aluminium teinté aux colorants synthétiques. Les objets réalisés sont très colorés et résistent à l’oxydation.

Avant de créer le terme de kinsai, M. Wada travaillait en tant qu’artisan de « inkin », ce qui témoigne bien de la large acception du terme dans le langage courant.

Par ailleurs, on trouve chez certains fournisseurs de tissus de montage pour les œuvres graphiques des tissus vendus sous le terme d’inkin, et qui reproduisent avec plus ou moins de bonheur des motifs traditionnels d’inkin anciens (hana-usagi etc), mais réalisés en kinsai.

 

http://www.wada-mitsumasa.com/

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